Jack sortit de l'appartement qu'il partageait avec les Atkins et Amandine, nouvelle arrivante depuis à peine quelques jours, replaçant le col de son éternelle veste en cuir, clope entre les dents. Il resta planté devant la porte d'entrée après l'avoir refermée, allumant son énième cigarette de la journée. Il ne buvait pas, ou pas jusqu'à l'ivresse, et ne se droguait pas. Il n'en avait pas besoin. La seule ivresse qui avait sur lui un effet était celle provoquée par la simple présence de Cora. Cora. Alors, il s'autorisait l'abus de nicotine. Après tout, il était persuadé que ça n'était pas si mauvais que ce que les gens voulait bien dire. Ou peut-être que si. Mais il fallait bien mourir d'une chose ou d'une autre et vivre d'amour et d'eau fraîche n'était pas sa devise. Rangeant son vieux zippo à l'effigie de l'Union Jack, cadeau de l'un des concubins de sa mère pour ses quatorze ans, dans la poche intérieure de sa veste, accompagné de son paquet de blondes et de son porte-feuille, il s'adossa quelques instants au mur, histoire de regarder les gens qui passent. Comme toujours. C'était devenu, avec le temps, une sorte d'automatisme : à chaque fois qu'il sortait de chez lui en allumant une cigarette, il se posait contre le vieux mur de briques et regardait la population de Londres. Il essayait de deviner, en voyant leurs visages, leur histoire. Qu'est-ce qui pouvait les amener à passer à Camden à cette heure-ci ? Ce n'est qu'en voyant un homme, probablement un chef d'entreprise ou une foutaise du genre, qui semblait pressé que Jack posa finalement son regard sur sa montre qui entourait fièrement son poignet droit. - Eh merde. lança-t-il en remarquant qu'il allait être en retard, et pas qu'un peu. Ça n'était pas dans son habitude. En fait, il détestait ça. Il savait à quel point c'était insupportable que d'attendre et quand quelqu'un se chargeait de lui faire subir ça, il devenait tout de suite moins baisant. Écrasant son mégot de nuigrav, il se mit en route pour le bar dans lequel Jagger lui avait une fois de plus donné rendez-vous.

Jagger représentait, pour Jack, l'homme même qui imposait le respect, ne serait-ce que par sa présence. Il avait beau être plus baraqué que lui -ce qui n'était pas compliqué, vu le gabarie de l'homme : c'était une crevette- et plus grand -il le dépassait de presque dix centimètres-, il n'empêchait que c'était le type même devant lequel il se la fermait, parfois. Sûrement par rapport à sa profession, grand directeur de maison de disques qu'il était, ou quelque chose comme ça. Forcément, se retrouver devant celui qui avait signé avec les Beatles, entre autre, c'était impressionnant. Alors, Jack ne voulait encore moins être à la bourre à un rendez-vous avec lui et puis, après tout, il l'appréciait, ce type. Alors, Watt marchait d'un pas rapide dans les rues de la capitale anglaise, histoire de gagné au plus vite le bar où ils se fixaient à chaque fois rendez-vous. Il lui fallu à peine cinq minutes de marche pour y arriver et, une fois devant la porte, il passa une main dans sa tignasse, remettant ses cheveux en arrière, légèrement ébouriffés. Il se regarda une derrière fois dans la vitrine, histoire de vérifier que tout était bien en place, avant d'entrer. Jack resta un court instant sur le pas de la porte, à chercher du regard Jagger. Lorsqu'il le vit enfin, il alla s'asseoir à ses côtés, le saluant d'une poignée de main. - Excuses moi du r'tard, j'ai pas vu l'heure. dit-il simplement pour se justifier, prenant place en face de lui.

Jack sourit à Jagger tout en s'installant en face de lui, cherchant du regard un serveur ou une serveuse. Il ne remarqua pas les regards qui s'étaient posés sur lui depuis son arrivée, il ne les remarquait de toutes façons jamais. En fait, il ne faisait pas partie de ces personnes qui faisaient attention au regard des autres, ou tout simplement à eux, et cette attitude lui avait valu de nombreuses collisions, des litres de café renversés sur sa chemises, des centaines de tâches sur ses chemises et t-shirt, des boîtes de détachants hyperactifs achetés dans les grandes surfaces en allant à l'agence et une jeune femme qui habitait désormais chez lui depuis quelques jours. Pourtant, ses amis, et en particulier Elton, lui faisaient assez souvent remarquer que des filles le fixaient dans la rue, à la terrasse d'un café ou au comptoir d'un bar. Mais lui, il ne les voyaient pas, n'étant après tout pas intéressé. Il avait Cora. Le jeune pigiste reporta alors toute son attention sur Jagger une fois la serveuse appelée. - Comment va notre futur John Bonham ? Tu sais que j'ai eu de très bons retours de ton remplacement avec le groupe, l'autre jour ! L'air enjoué de Jagger fit légèrement rire Jack, qui baissa la tête en la secouant doucement. Il s'apprêtait à répondre lorsque la serveuse vint prendre sa commande, lui collant sa poitrine en pleine figure, comme si c'était la meilleure technique de drague du siècle. Le jeune anglais lui adressa un regard suspicieux, voire même inquiet, et s'éloigna légèrement tandis qu'il sentait les obus de la grande blonde s'approcher un peu trop prêt de son visage. Il se contenta de commander une bière pression, soufflant enfin lorsqu'elle retira de sa vue ses énormes pastèques. Son regard se posa alors sur Jagger et, voyant la tête de son ami, il dit : - Je te prierais de ne faire aucun commentaire là-dessus, et de ne pas le dire à Cora. Il se mit à rire et attendit que sa commande arrive avant de remercier la serveuse et de regarder une nouvelle fois l'américain qui lui faisait face. - Arrêtes avec cette idée de groupe. T'as peut-être eut de bons échos de ce qui s'est passé pendant le remplacement mais c'est tout ce que c'était : un remplacement. Jack saisit sa bière et en but une gorgée avant de hausser les épaules. - Et après tout, ils ont un déjà un batteur, non ? Evidemment que l’hypothèse de faire partie d'un groupe de rock, d'un vrai, peut-être de celui qui détrônera les Beatles si jamais ils ont de la chance -car après tout, d'après ce qu'il avait entendu d'eux, ils avaient le talent pour, ça ne faisait pas de doutes- lui plaisait et bien sûr que les propos de Jagger flattaient son égo : tout le monde aurait réagit comme ça à sa place, c'était évident. Mais le gros problème de Jack était la peur, la peur que tout rate et qu'il perde ce qu'il avait gagné d'un instant à l'autre, la peur de quitter son emploi déjà peu stable puisqu'il était payé en fonction du nombre de lignes, de mots, de caractères qu'il écrivait pour intégrer un groupe qui peut-être ne percera jamais. La peur de décevoir ses proches, soit Cora, Elton et Amandine si jamais rien ne se passait comme il le fallait. Et bien évidemment la peur de ne pas être à la hauteur de ce que Jagger attendait de lui. C'était bien ça qui le retenait de se lancer à corps perdu et d'intégrer un groupe : depuis l'adolescence, il était tétaniser à l'idée de ne pas pouvoir contrôler son avenir dans le monde de la musique s'il décidait de se lancer.

(désolée, c'est court)

Jagger regarda avec un sourire amusé la serveuse sirupeuse coller ses gros lolos sous le nez du jeune homme. Elle n'y allait pas avec des gants celle là. Un peu plus et le jeune homme frôlait l'asphyxie. Lorsqu'elle se dégagea, Jagger cru retrouver la vue, enfin. - Je te prierais de ne faire aucun commentaire là-dessus, et de ne pas le dire à Cora. Jagger haussa un sourcil amusé - Tu fais bien ce que tu veux avec tes ... enfin, avec ses obus. souffla-t-il, indiquant la serveuse qui le regardait avec un air d'animal en chaleur, d'un coup avisé de tête. - Comment va-t-elle d'ailleurs ? Cora, pas la serveuse, elle j'ai cru comprendre qu'elle allait bien. s'enquit l'américain, toujours soucieux de l'entourage de ses amis. Il avait cru comprendre que la jeune femme était comédienne, et était souvent absente. Il se doutait donc que ça ne devait pas toujours être facile pour le jeune homme. - Arrêtes avec cette idée de groupe. T'as peut-être eut de bons échos de ce qui s'est passé pendant le remplacement mais c'est tout ce que c'était : un remplacement. l'américain fit claquer sa langue sur son palais, levant les yeux au ciel dans un sourire. Et après tout, ils ont un déjà un batteur, non ? soit, ça n'était pas un détail à omettre. - Les Beatles aussi avait ce ... Pete Best, il me semble. Et aujourd'hui, on ne jure que par Ringo, lui rappela l'américain, mais soit, tu ne veux pas, j'ai compris, se rattrapa-t-il en percevant le regard foudroyant de Jack. Il ne pouvait pas s'en empêcher, pour lui, Jack avait la possibilité d'égaler les plus grands. Mais ça n'était pas son choix, c'était le sien et si le jeune homme désirait rester les pieds sur terre, Jagger devrait respecter cet engagement. Terminant son café, il commanda à la serveuse un bock de bière pour accompagner son ami. Le bar était calme, quelques fracas de vaisselles qu'on lavait venait troubler les discussions des clients. Jagger pensa que c'était le bon moment pour clore cette discussion sur la possible célébrité de son ami. Il lui tendit alors une carte de visite, - Ils me l'ont donnés pour toi, les gars du groupe. Si tu veux faire un boeuf avec eux, un d'ces quatre. dit-il sobrement, espérant que l'intéressé prendrait le temps de réfléchir aux possibilités qui s'offraient à lui. Après tout, ce type de chance n'était donnée à tout le monde. Mais c'était aussi très aléatoire, et tenter une percée dans l'industrie musicale à cette époque était très risqué. Les Beatles et la Beatlesmania happaient tout sur leur passage : cinémas, salles de concert, conférences, presse. Il n'y en avait que pour eux, et de nombreux groupes talentueux allait être oublié. S'il les quatre anglais n'avaient pas signé pour sa maison de disques, Jagger aurait pu les haïr. L'américain leva son verre, le faisant claquer contre celui de Jack. - A ta possible, hypothétique, éventuelle, potentielle carrière ! dit-il avant de boire une gorgée et de reposer bruyamment le verre sur son sous-bock. - Et dans ton journal là, ... ton poste de pigiste, ça roule ?

Jack guetta du coin de l'oeil un possible retour de la serveuse, croisant cependant les doigts pour ne pas que ce soit le cas. Il la regardait discrètement tout en reportant son attention sur Jagger. - Tu fais bien ce que tu veux avec tes ... enfin, avec ses obus. Jack ricana. Certes, après tout, c'était à lui de voir ça, mais il n'empêche qu'il n'en avait guère envie : elle ne lui plaisait pas, pas du tout. Trop fausses, trop superficielles. Non merci. Voyant le coup de tête de son ami, Jack se retourna totalement et l'observa très rapidement, levant les yeux au ciel devant cet air bestial qui s'affichait sur son visage, comme si elle allait lui sauter dessus et l'étouffer avec sa poitrine plus qu'imposante. - Comment va-t-elle d'ailleurs ? Cora, pas la serveuse, elle j'ai cru comprendre qu'elle allait bien. Jack secoua légèrement la tête pour en enlever l'image de lui qui était entrain de mourir dans d'atroce souffrance au milieu de ces montagnes de graisses. Il planta alors son regard dans celui de Jagger, souriant légèrement. - Elle va bien, j'imagine. Elle est en déplacement en c'moment alors je peux pas te répondre précisément mais bon, comme elle fait c'qu'elle aime, ça devrait aller. dit-il avec un demi-sourire, songeant à ce que pouvait bien faire Cora en ce moment même, avec qui, pourquoi.. Et au final, la conversation revint sur cette histoire de groupe, qui relevait plus du fantasme que d'autres choses pour Jack. Alors qu'il lui expliquait qu'il n'avait servit que de remplaçant, qu'il ne s'attendait pas à être pris dans un groupe, il détailla les mimiques de Jagger tout en espérant qu'il comprendrait et qu'il n'insisterait pas trop, car il n'allait pas en falloir beaucoup pour que Jack craque. - Les Beatles aussi avait ce ... Pete Best, il me semble. Et aujourd'hui, on ne jure que par Ringo. Mais soit, tu ne veux pas, j'ai compris. Jack se pencha un peu plus sur la table, se rapprochant ainsi de Jagger, sans quitter des yeux ceux de Jagger. - Je n'm'appelle pas Ringo Starr, aussi. Alors que la serveuse venait amener la bière de Jagger, elle en profita pour poser sa main sur l'épaule de Jack qui la saisit et la reposa le long du corps de la jeune femme, lui lançant un regard noir. Maugréant à voix basse, Jack ne releva la tête de son verre que lorsqu'il remarqua que Jagger lui tendait quelque chose. Il le regarda alors, surpris, tout en tendant la main pour saisir le papier qu'il voulait lui donner. - Ils me l'ont donnés pour toi, les gars du groupe. Si tu veux faire un boeuf avec eux, un d'ces quatre. Jack contempla la carte qu'il avait entre les doigts, songeant de plus en plus à cette possibilité, levant distraitement son verre pour le claquer contre celui de Jagger. - A ta possible, hypothétique, éventuelle, potentielle carrière ! Mais Watt ne répondit pas, les yeux toujours rivés sur cette petite carte qui pouvait lui offrir tant de choses. - Et dans ton journal là, ... ton poste de pigiste, ça roule ? Jack releva alors la tête, distrait, et finit par répondre sans lâcher la carte des mains. - Y a des hauts et des bas, c'est un peu chiant d'écrire toujours les mêmes articles sur les Beatles et on a peur que les lecteurs n'étant pas fans se lassent. Alors on essaie de trouver d'autres sujets, un peu en vain, expliqua-t-il en haussant les épaules. C'était effectivement ce qui lui faisait le plus peur. Après tout, il n'était pas un salarié menstruel et il commençait à flipper pour son avenir. Jack soupira et but une nouvelle gorgée de sa bière. Il saisit de nouveau la carte et la fit tourner entre ses doigts, un peu ailleurs. Il reposa alors de nouveau ses yeux sur Jagger et finit par se résoudre. - Très bien, appelles-les.