Amandine déposa le stylo sur son lit avant de froisser la feuille qui était destinée à ses parents. Elle jeta le bout de papier par terre, commençant à perdre patience. Ça devait faire la sixième fois qu'elle recommençait cette lettre, toujours insatisfaite des mots qu'elle réussissait à mettre par écrit. Elle aurait aimé pouvoir leur dire tout ce qu'elle ressentait depuis l'adoption. Tout ce qu'elle ressentait aujourd'hui, tout ce chagrin, cette rancune, cette colère qu'elle éprouvait à leur égare. Amandine soupira devant sa propre faiblesse. Elle était stupide de vouloir faire cette chose alors qu'elle en était tout bonnement incapable. Elle finit par se coucher sur son lit et fermer les yeux. Jack et Elton n'étaient toujours pas rentrés, Cora, elle, était encore en déplacement. Sa mâtiné à servir des clients tous plus exécrables les uns que les autres, lui avait permis d’avoir son après-midi de libre. Un après-midi à ne rien faire, si ce n'est à tourner en rond et sans but dans un appartement vide. Amandine déposa son bras sur ses yeux. Une, deux, trois. Elle dut rester une dizaine de minutes à attendre que le temps passe. Une attente trop longue qui réussissait à raviver des souvenirs qui n'auraient normalement pas du faire surface une énième fois. Elle se leva, ramassant toutes les feuilles froissées par terre pour les mettre sur le lit. Elle se planta devant la fenêtre. Bras croisés et tête posée contre la vitre.

La jeune fille sursauta en attendant les bruits de la serrure. Elle bénit mentalement la personne qui allait la sauver de cet ennui mortel. Elle ouvrit la porte de sa chambre, regardant Jack entrer dans l'appartement. Toujours les bras croisés, elle s'appuya sur l’encadrement en esquissant un sourire. « Tu as bien travaillé ? » Demanda-t-elle en le fixant, comme s'il avait été la personne qu'elle avait attendu le plus au monde. Ce qui à cet instant précis, était pratiquement le cas. Depuis son arrivée à Londres, depuis qu'elle avait quitté le foyer et la maison de ses parents, son plus grand défaut était de ne pas pouvoir supporter la solitude. Elle qui avait été habituée à être constamment entourée par sa mère, ou une Sœur, avait encore du mal à se débrouiller seule pendant des heures. Elle avait mis un enfant au monde, son corps était devenu celui d'une femme, mais mentalement, elle était loin d'être aussi adulte et forte qu'elle le laissait croire. Elle était encore la Amandine qui n'arrivait pas à plier un drap correctement. Celle qui s’acharnait à essayer de jouer sa partition de piano à la perfection. Elle savait que la vie n'était pas un compte de fée, pourtant, une part d'elle refusait toujours de grandir. Elle finit par hausser les épaules avec un sourire. « Elton n'est pas encore rentré, » commença-t-elle en se dirigeant vers le réfrigérateur, « je peux commencer à faire à manger si tu veux. » Elle ouvrit le frigo en enfonçant sa tête dedans pour la ressortir presque aussitôt.

« M'en parles pas, c'est le vide total, j'ai eu aucun article à faire. Comme si on avait épuisé tous les sujets. » Amandine esquissa un sourire en hochant de la tête comme simple réponse, par habitude. Dans un sens, elle se sentait chanceuse. Servir des frites toute la journée. Faire des allés et retours des voitures au restaurant étaient certes épuisants, mais au moins, elle avait de quoi travailler. Elle n’aurait pas pu s’imaginer à la place de Jack. Faire des articles toute la journée, écrire sur les mêmes thèmes, des paroles qui se ressemblent et qui se répètent. Elle gardait déjà un assez mauvais souvenir de ses études pour en rajouter une couche en tant que pigiste. Son boulot de serveuse, elle avait eu la chance de le trouver le lendemain de son arrivée à Londres. La place venait de se libérer, l’ancienne employée, en congé maternité, venait de perdre sa place à cause de son gosse. Voir le visage de cette pauvre femme complètement impuissante face au vieux Barry, le patron ingrat et vicieux du drive-in, n’avait fait qu’en rajouter une couche pour Amandine. Elle s’était finalement résignée à lui prendre son poste, n’ayant pas d’autre solution pour devenir le plus vite possible autonome. Elle éprouvait bien plus que de la reconnaissance envers Jack qui avait bien voulu l’héberger, alors qu’ils ne se connaissaient même pas depuis cinq minutes. L’une des plus grandes folies de sa vie, se mettre à pleurer en pleine rue devant un inconnu, lui avait servi bien plus qu’elle ne l’aurait cru. Maintenant qu’elle vivait dans cet appartement, elle se rendait compte à quel point son existence avait été vide jusqu’à présent. Un vide qui n’aurait fait que s’élargir si la tragédie, comme elle l’appelait, n’avait pas eu lieu.

« Fais toi à manger si tu veux mais j'ai pas très faim, merci. » Amandine sortit sa tête du réfrigérateur pour regarder Jack. Elle lui rendit son sourire, haussant légèrement les épaules. « Comme tu veux. » Elle regarda à l’intérieur, pendant qu’il entrait dans sa chambre, pesant le pour et le contre pour chacun des ingrédients. Pensant mentalement que le lendemain, elle irait faire des courses après le travail. Elle sursauta légèrement en voyant le bras du jeune homme passer devant-elle, ne s’attendant à ce qu’il refasse son apparition si rapidement. Elle tourna un peu la tête pour le regarder sans dire un mot et soupira mentalement quand il se recula pour aller s’asseoir sur le plan de travail. Elle avait encore du mal à s’habituer à la présence si rapprochée, d’un, ou plutôt deux hommes. Elle avait beau leur faire confiance, elle s’attendait toujours au pire. Ce qui en soit, était complètement stupide. Elle réenfonça sa tête dans le frigo, se remettant à regarder les aliments sans réel envie. « Ca fait très couple, comme situation. Tu trouves pas ? » Amandine écarquilla les yeux. Elle se retourna pour regarder Jack un instant. Pas encore habituée à ce genre de plaisanteries. Sa naïveté lui valait de croire tout ce qu’on lui disait. Elle prenait au pied de la lettre toutes les petites paroles qu’on pouvait lui dire. Et cela, dans n’importe quelle circonstance. « Non.. Non, je trouve pas, » répondit-elle en reprenant son sérieux. Elle se remit face au frigo, soufflant un instant pour avoir éviter la catastrophe. Après quelques secondes à regarder dans le vague, elle sortit une bouteille d’eau, refermant la porte derrière-elle. Elle sortit ensuite un verre du placard, le remplissant sans vraiment être concentrée dans ses gestes et renversant une bonne partie de la bouteille à côté du récipient. « Mais quelle idiote, » dit-elle à voix haute, se reculant un peu pour ne pas être mouillée.